C’est devant plus de 1100 élèves de rhétos des écoles de Tournai que la conférencière et survivante des camps nazis, Lili Keller-Rosenberg s’est exprimée ce mardi 7 mars dernier à Imagix.
A bientôt 91 ans, Lili continue aujourd'hui de raconter son histoire, son passé et les horreurs qu’elle a vécu durant cette sombre période de l’histoire de l’humanité.
Conscientiser, sensibiliser, parcourir les écoles pour témoigner sans relâche, telle est désormais la ligne de cette dame exceptionnelle.
Ce témoignage mémoriel a pu voir le jour grâce à la collaboration active de la Cellule Hainaut Mémoire et le Secteur Education permanente et Jeunesse de la Province de Hainaut, la Ville de Tournai, le War Heritage Institute (WHI) et enfin l’Institut Libre des Métiers à qui revient l’invitation initiale de Mme Rosenberg, sans oublier Notélé qui permet la retransmission dans les trois autres salles d’Imagix.
Un récit poignant et rempli de courage que nous vous livrons ici en quelques lignes de son témoignage:
Mes parents étaient immigrés hongrois, j’avais deux frères : Robert et André. Lors de la déportation, j’avais alors 11 ans, Robert, 9 ans et André, 3 ans.
Pour les nazis, certaines catégories de la population étaient "indésirables", et donc, destinées à périr : Juifs, Tziganes et les malades mentaux. Quelle revanche sur les nazis que d'être présente aujourd'hui!
En tant qu'enfant juif, l'accès aux jardins, piscines, théâtres, ... nous était interdit.
Ma famille habitait près de la paroisse St-Antoine. Le curé proposa à mes parents de nous cacher dans sa famille.
Pensant qu'il n'y avait plus de danger, mes parents sont venus nous rechercher.
Le 26 octobre 1943, mes frères et moi ainsi que notre père préparions joyeusement l'anniversaire de maman (son anniversaire était le 27 octobre). La nuit du 26 au 27, à 3 heures du matin, les soldats de la Feldgendarmerie nous ont réveillés en hurlant de nous dépêcher de rassembler nos affaires. André, trop petit pour comprendre, attrapa son jouet en bois préféré.
Nous fûmes emmenés à la prison de Loos, puis à celle de St Gilles.
Quelques jours plus tard, notre famille fut transférée au camp de Malines. Ce camp était dirigé par des SS allemands et flamands. L'un des SS était même surnommé "Pferde Kopf" (Tête de cheval), ce surnom lui venait de son goût à donner des coups de fouet avec une rude violence.
Un jour, on nous rassembla sur la place du camp. Les hommes et les grands garçons, d'un côté, et les femmes et les enfants, de l'autre. Tous furent obligés de se déshabiller et d'écarter les jambes pour qu'un SS puisse vérifier qu'ils n'avaient pas caché de bijoux ou d'autres objets de valeurs.
C'est à ce moment que notre famille fut séparée.
Notre père a été déporté au camp de Buchenwald.
Maman, mes frères et moi avons été envoyé au camp de Ravensbrück (l'enfer des femmes).
Le transport dura 4 à 5 jours, sans manger, ni boire et s'effectua dans des trains destinés aux animaux, il n'y avait qu'un seau en guise de toilette.
Quand le train s'arrêta, les SS avec leurs chiens dressés pour mordre nous attendaient (encore maintenant, Lili a peur des chiens).
Nous avons dû prendre une douche et nos cheveux ont été rasés. Les SS nous ont donné un pyjama ainsi qu’un matricule. Mon matricule était le « 25612 », que je devais connaître en allemand. A partir de ce moment-là nous n'étions plus personne, nous n'avions plus d'identité.
Nous avons été mis en quarantaine, puis ballottés de block en block jusqu'au block 31. Un block est une section d’un camp comprenant plusieurs baraques. L’effectif d’une baraque à Birkenau était de 400 à 500 détenus et pouvait passer à mille et plus.
Des femmes tels que Martha Desrumaux, Jeanne Tetard, deux grandes résistantes ainsi que Geneviève de Gaulle (nièce de Charles de Gaulle) et la Vicomtesse, Jacqueline d'Alaincourt étaient dans mon block. Cette description est faite pour comprendre que dans les camps qu'on soit riche ou pauvre, tout le monde subissait les mêmes traumatismes.
Les conditions étaient inhumaines. La sirène retentissait tous les matins à 3 heures du matin. Tout le monde se ruait vers les Waschraum pour se laver. Ma mère, pour éviter la foule, nous réveillait 30 minutes plus tôt. Comme elle le disait "ils nous ont tout pris, jusqu'à notre identité, mais ils ne nous prendront pas notre dignité. Soyons corrects!"
En guise de repas à midi, on nous servait de la soupe de rutabaga. Parfois les femmes qui apportaient les bidons trébuchaient, et là, femmes et enfants se ruaient sur le sol pour laper la soupe comme des chiens.
Nous avons à nouveau été déportés vers le camp Bergen-Belsen (le camp de la mort lente). Durant le trajet qui a duré 4 à 5 jours, de nombreuses femmes avaient leurs nourrissons dans les bras. En arrivant au camp, aucun des bébés n'étaient encore en vie. Un groupe de femmes fut rien les corps des bébés dans des caisses et les mettre dans les camions qui les amenèrent au camp. Des femmes plus âgées qui n'avaient pas assisté à la scène furent heureuses de pouvoir s'asseoir sur les caisses durant le voyage vers le camp. Quelle scène horrible!
Arrivés au camp, une odeur insoutenable nous a envahi, l'odeur venait des corps sans vie des déportés qui étaient brûlés avec de l'essence par les nazis.
Une épidémie de typhus avait envahi le camp, malheureusement maman fut très vite malade. Elle n'était plus qu'une ombre ne répondant plus, ne bougeant plus.
Le 15 avril 1945, le camp fut libéré par les soldats Anglais. Ils avaient apporté de la nourriture en abondance. Beaucoup de personnes se sont ruées vers la nourriture seulement leur organisme n'était plus habitué à tant de nourriture. Des milliers de personnes moururent encore après la libération.
Maman fut mise à l'écart afin d’être soignée.
Robert et moi, n'ayant pas très faim, gardions les pains pour en faire des oreillers et avec le reste de la nourriture, ils constituèrent un petit balluchon pour le voyage vers Paris. Robert devait porter le balluchon et moi, je portais mon petit frère André, trop faible pour marcher.
Arrivé à la gare pour repartir à Paris, ce fut insoutenable, c'étaient les mêmes trains pour animaux qu'à notre arrivée. A Paris, nous fument amenés à l'hôtel Lutétia. Là-bas, des familles étaient présentes pour retrouver les leurs, cette scène était magnifique, voir les familles retrouver les déportés, être si heureux, mais nous, personne ne nous attendait, nous n'avions plus de famille.
Une assistante sociale présente demanda à son frère et à sa belle-sœur de bien vouloir nous accueillir.
Nous avons été aimés par ce couple et peu après, notre tante est venue nous chercher. En arrivant chez leur tante, une foule nous attendaient. C'était inimaginable que 3 enfants aient pu revenir des camps seuls, sans parents.
Vu leur état de santé, nous avons été emmenés dans un préventorium et c’est là que notre mère nous a retrouvés.
Elle était arrivée à Paris, à l'hôtel Lutétia, peu avant, mais à cause de sa maladie, elle avait tout oublié. Ce sont les infirmières qui lui parlèrent de ses enfants.
De retour chez nous, tout avait été pillé. Grâce aux voisins, nous avons pu réaménager l’intérieur de la maison.
Au bout de quelques temps, nous n'espérions plus que le retour de notre père. Malheureusement, il est mort quelques jours avant la libération du camp de Buchenwald. Les nazis avaient mitraillé un groupe de déportés et il en faisait partie.
Maintenant, je suis la seule à témoigner dans le Nord Pas de Calais. Vous êtes mes petits messagers. Bientôt, il n'y aura plus de déportés pour témoigner, vous serez les seuls à pouvoir en parler.